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Vampire Swansong : la belle catastrophe

Un vampire devant un long couloir qui se termine par une porte sur laquelle figure le signe de la croix.

On parlemente, on négocie, on essaie, on convainc, et finalement tout part en vrille et des têtes tombent. Il faudra vivre avec. Dans Vampire: The Masquerade - Swansong, échouer peut mener à la catastrophe mais réussir peut mener à… Une belle catastrophe !

En avant ! #

Les fictions interactives à embranchements comportent des structures qui peuvent facilement être schématisées. Quand elles ne tolèrent pas l’échec ou le mauvais choix, on parle traditionnellement de structure one true path¹ (comme dans les plus revêches des Livres dont vous êtes le héros). Dans ce cas, la moindre erreur vous mène au game over et vous devez recommencer jusqu’à trouver le bon chemin. Dans le cas inverse, on parlera d’anti-one true path, ou comme je préfère l’appeler, de design always forward, où le game over n’existe pas, et où l’histoire avance toujours, quelles que soient les décisions, bonnes ou mauvaises, prises par les joueurs et joueuses.

C’est le cas de Vampire: The Masquerade - Swansong, du studio Bordelais Big Bad Wolf, sorti en 2022. Dans ce jeu on incarne à tour de rôle trois vampires qui doivent naviguer dans les intrigues de cour du monde des ténèbres. Le gameplay se divise (en gros) en deux parties : des phases d’exploration pour tenter de découvrir des indices, et des phases de dialogue où l’on doit gérer ses ressources de pouvoir et où tous les coups sont permis pour arriver à ses fins. Il faut faire preuve de beaucoup de prudence, car chaque joute verbale peut avoir des conséquences désastreuses.

Screenshot du jeu pendant une phase de dialogue. On peut utiliser son pouvoir d'intimidation pour faire plier son interlocuteur.

La stratégie de l’échec #

Un chapitre de Swansong nous fait incarner Emem qui doit convaincre deux chefs anarchs de s’allier avec le Prince de la ville, leur rival naturel. J’ai mené sans encombre les négociations, teintées de trahison et d’infiltration. C’était pour moi une réussite du point de vue du gameplay, et pourtant cette réussite a eu des conséquences désastreuses d’un point de vue scénaristique, entraînant la mort d’autres personnages et pas mal de chaos.

Il y a donc un fort contraste entre le sentiment de satisfaction après une phase de gameplay réussie, et un sentiment de danger et d'horreur face au déroulement des événements qui nous échappent. Pourquoi ne pas simplement donner un dénouement heureux à la séquence de jeu que l'on vient de passer avec brio ? Cela peut paraître contre-intuitif, mais il est nécessaire pour la dramaturgie que les personnages échouent, ou tout du moins soient mis en difficulté, en dépit des phases de jeu réussies.

En effet, selon les règles communément admises de l'écriture dramatique, les protagonistes doivent être confrontés à l’adversité, en particulier au milieu de l’histoire. Dans une structure hollywoodienne classique, les événements doivent tourner en la défaveur des héros pour que leur victoire finale n’en soit que plus méritante. Indiana Jones ou Ethan Hunt se font dérober l’objet de leur quête au milieu du film pour augmenter le sentiment d’urgence de l’histoire, Loki échappe aux Avengers à la moitié du film pour mieux préparer l’affrontement final.²

Il y a donc nécessité, pour le bien de la dramaturgie, que les personnages d'un jeu vidéo soient mis en difficulté dans l’histoire, et ce, même dans l’éventualité où l'on joue le jeu à la perfection. Ces événements fâcheux pour mon personnage m’ont laissé un sentiment très positif : ils ne sanctionnaient pas une réussite ou un échec, mais un choix que j’avais fait, celui de soutenir Yardley et trahir Cerys. J’avais réussi d’un point de vue gameplay mais mes actions ont mené à une catastrophe. C’était une catastrophe justifiée scénaristiquement, je sentais mon impact dans le monde du jeu et l’histoire était relancée. C’était là une belle catastrophe.

Prendre des coups #

L'échec rythme la plupart des jeux du marché. On tombe dans un trou, on se fait tuer par un boss ou par un autre joueur, mais on tire des leçons de nos erreurs et on réessaye. La mécanique de die & retry permet de gommer les échecs pour créer une ligne temporelle où le héros a vaincu sans jamais faillir. Les morts innombrables et les missions échouées sont pour les joueurs et joueuses, pas pour les personnages. Or, dans un jeu always forward, il n’est pas question de remonter le temps pour réparer ses erreurs (à part à recharger sa sauvegarde, ce qui est très contraignant dans Swansong). On doit vivre avec ses échecs.

Le jeu vidéo n’est pas fait que de catastrophes qui mènent au game over. Les parties sont rythmées par une myriade de petits échecs : rater un saut, prendre un mauvais chemin, se faire doubler lors d’une course, prendre un coup et perdre un point de vie… Ces revers sont autant de péripéties créant de la tension et apportent de l’enjeu. Le coup de force de Swansong est de recréer ces petits échecs dans un jeu essentiellement composé de dialogues. Durant la plupart des interactions avec des personnages non joueurs, il est possible d’essayer de leur soutirer des informations ou de les convaincre de nous aider en usant de nos pouvoirs. On ne parvient cependant pas toujours à nos fins et on doit avancer en assumant de s'être fait rembarrer par un vampire un peu trop coriace pour nous. Certains moments aux enjeux plus importants sont appelés « Confrontations » (comme les négociations évoquées plus haut) et affichent une interface qui permet de littéralement compter les défaites et les victoires durant l’échange. Utilisez le mauvais argument, ratez un jet de persuasion ou de domination mentale, et vous ferez un pas de plus vers un échec de la confrontation. C’est l’équivalent narratif de prendre un coup. Cela fonctionne terriblement bien pour installer un climat de tension tout en microdosant l’échec. On nous fait voir arriver la catastrophe indélébile, alors on essaye de naviguer au mieux dans nos décisions pour l’éviter.

Screenshot du jeu pendant une phase de dialogue. On voit l'échec de la confrontation clairement indiqué sur l'interface.

Ce qui ne tue pas… #

En nous refusant la mort, le always forward nous retire le super-pouvoir communément admis de corriger et apprendre de nos erreurs. Comme des vampires, nous devons avancer, incapables de mourir, en assumant nos choix, nos échecs, amassant des regrets. Comment alors créer un jeu narratif palpitant et engageant ? L'exemple de Vampire: The Masquerade - Swansong paraît être une bonne réponse : en créant des catastrophes narratives, de belles catastrophes qui augmentent les enjeux, les dangers, et ce, même si on n'échoue pas vraiment en termes de gameplay.

En parallèle, on peut aussi se poser la question de ce qui équivaut à « prendre des coups » dans notre jeu pour donner au always forward un rythme qui ressemble à celui des autres types de structures. Comment figure-t-on concrètement aux joueurs et joueuses que l'histoire ne tourne pas en leur faveur ? Faire en sorte de bien montrer qu'il y a de bonnes et de mauvaises réponses permet d'aborder les dialogues avec un esprit de stratège et augmenter la tension des confrontations. Et si on ne craint plus la mort, on craint de devoir vivre avec les conséquences d'un choix malavisé.


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